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Trying to swallow happiness...

Mercredi 10 novembre 2010 à 20:18

« T'auras qu'à pas faire attention quand on te parlera de moi... »

 

 

Une brise délicieuse soufflait et agitait les branches des arbres autour du cimetière. Marius était assis sur la pierre tombale, son air nonchalant collé au visage. Il ne savait pas afficher ses sentiments. Le vent faisait remuer ses cheveux bouclés en rythme et le rendait absolument craquant. Mais ses yeux dégageait un sérieux inquiétant, et ses cernes montraient qu'il devait cruellement manquer de sommeil. Il serrait entre ses mains un bouquet de roses épineuses, et de ses doigts écorchés perlaient quelques gouttes de sang.

Marius se laissa aller contre la pierre et ferma les yeux. Le froid du marbre dans son dos ne semblait pas le déranger, et un sourire d'apaisement se dessina sur son visage. Une larme coula le long de sa joue, larme qu'il essuya du revers de la main. Qu'il était beau...

J'aurais pu rester des heures à l'observer. D'ailleurs c'était précisément ce que j'allais faire. Son sourire me rassurait. Je me sentais moins coupable, mais j'aurais donné n'importe quoi pour pouvoir parcourir les quelques mètres qui nous séparaient et le prendre dans mes bras. Au lieu de quoi, je me contentais de planifier les moments où je serais assez proche pour le voir, et pour vérifier qu'il allait bien.

Je m'étais habituée à ses venues régulières chaque lundi et chaque jeudi, avec un bouquet de roses blanches. Il contemplait posément la tombe nue sur laquelle il reposait présentement, et puis il murmurait des paroles rassurantes. L'abattement le frappait souvent et il se laissait choir au pied de la stèle, entayant ses longs doigts de pianiste sur les épines des fleurs. Alors il passait un long moment à communier, les yeux clos. Il abandonnait les fleurs ensanglantées sur la dalle de marbre avant de partir, et promettait de revenir. Et il s'éloignait douloureusement.

C'était devenu une routine, qui me permettait pendant quelques heures, deux fois dans la semaine d'être proche de lui, et ça me suffisait. Ou plutôt je m'en contentais. Mais ce jour la, les choses n'ont pas suivi leur cours normal. La voix avait brisé l'harmonie qui semblait régner autour de Marius.

« Eh vous, là-bas ! ».

Marius s'était redressé hâtivement, et avait resserré sa pression autour des fleurs. Il n'avait jamais eu à faire face à qui que ce soit pendant ses visites, et cela donnait à sa présence un côté intime. De mon côté je n'avais pas senti la tierce personne arriver, mais j'avais reconnu la voix. C'était une femme d'un certain âge, Mme Rotin, qui passait de temps à autres entretenir la tombe de son défunt époux. Elle se faisait forte de faire la loi dans ce cimetière et elle imposait aux individus qu'elle rencontrait de respecter un code qui lui semblait essentiel vis-à-vis de leurs propres disparus.

« Mais ça va pas non ? Vous avachir comme ça sur une tombe ? Vous vous prenez pour qui ?! »

En d'autres temps, Marius aurait souri d'un air amusé, et demandé malicieusement pour qui elle-même pouvait se prendre, pour lui dire ce qui se faisait et ne se faisait pas. Au lieu de quoi, il soutint son regard d'un air agacé. Un peu décontenancée, la moralisatrice hésita un instant, avant de reprendre ses directives.

« Un peu de respect enfin jeune homme ! Connaissez vous seulement cette fille ? Je suis certaine que ses parents seraient outrés de votre comportement. Les vôtres aussi d'ailleurs ! »

J'assistais impuissante au discours de cette bonne femme, qui m'exaspérait de plus en plus. Elle me volait ce moment avec Marius, et elle gâchait cet instant de paix intérieure qu'il avait tant de mal à atteindre ces derniers temps. Je me suis agrippée au tronc et me suis laissée tomber au sol. J'avais beau savoir que mes précautions étaient inutiles, j'avais peur d'avoir mal en touchant le sol. Je savais que mon intervention était inutile et même pire, irréalisable, mais je ne pouvais pas rester simple spectatrice, si loin de lui.

Marius fusilla la veuve Rotin du regard. Il se mit debout, de sorte qu'il la dominait d'une bonne tête, et soupira. D'un air subitement très las, il ouvrit la bouche et souffla de la voix grave que j'aimais tant :

« J'ignore qui vous êtes pour vous permettre de me faire la leçon. Mais la demoiselle qui repose ici ne m'interdirait jamais de m'allonger auprès d'elle, du moment où je ne me trouve pas sous la dalle. Vous ne connaissez ni son histoire, ni la mienne. Je ne me permet pas d'intervenir dans votre façon d'honorer et d'aimer vos morts. Laisser moi agir comme bon me semble, et abstenez vous à l'avenir de vous en prendre à moi, je ne serais pas toujours si fatigué d'être. »

Il lui tourna résolument le dos, et caressa du bout des doigts la stèle. Son sourire était désormais amer. Le moment était gâché. Il était si absorbé par ses pensées, qu'il ne vit même pas que Mme Rotin était partie. J'aurais aimé savoir quelles idées traversaient son esprit torturé. J'avais conscience de la souffrance qu'il devait ressentir, et peut-être de la colère que l'importune avait pu susciter en brisant son entrevue. Instinctivement, je me suis rapprochée, comme si la proximité physique pouvait m'aider à me glisser dans ses pensées. Je pouvais l'entendre respirer doucement. Je n'ai pas pu m'empêcher de murmurer son nom à mi-voix, mais je savais qu'il ne se tournerait pas.

« Je sais que tu es là mon ange, affirma-t-il d'une voix brisée. Je sais que tu es là, et que tu peux entendre ce que je te dis. Je peux sentir ta présence, partout où je vais. Tu habites mon âme, mais ici, tu me rassures. Mais je ne le mérite pas. Si tu savais combien je suis désolé mon amour. J'aurais voulu être là pour toi tous les jours de ma vie. Et il a suffit que je m'absente une heure pour que tu partes pour toujours... Pardonne moi de n'avoir pas su te protéger. »

Il se tourna vers moi et me regarda droit dans les yeux, comme s'il avait pu me voir. Il me sourit et esquissa un mouvement pour caresser ma joue qu'il traversa. Se pouvait-il que ses yeux se pose sur ce qu'il restait de moi ? Se pouvait-il que par une chance inouïe il fut le seul à pouvoir me voir ? J'ai tendu le bras vers son visage qu'il a incliné vers moi pour en sentir le contact. Si j'avais eu un cœur, son rythme se serait emballé comme jamais.

De mes deux mains jointes, je représentait un cœur. Il s'agissait autrefois de notre signe d'au revoir. Une larme perla au coin de son œil. Il la laissa ruisseler le long de sa joue et finir sa course sur sa chemise noire, que j'aimais tant autrefois.

« Je reviendrais toujours te voir mon ange. Tu es mon miracle. Avec toi, tout est possible... »

Et sur le visage de Marius se dessina un sourire calme et apaisé. La sérénité se lisait sur son visage., et je sentais qu'elle se répandait en moi. Tout sentiment de culpabilité s'évaporait progressivement. Ce moment unique, impossible, était le notre pour toujours.

Par Goutte le Jeudi 11 novembre 2010 à 17:46
Ce texte...
Fais en un roman, il y a vraiment du potentiel.
 

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